(Épître aux Éphésiens, V, 8)
Parents, maîtres et éducateurs, nous avons pour mission de mener les âmes des enfants vers la Lumière qui sera le chemin de leur vie et leur bonheur. Chaque semaine, nous vous proposons de découvrir quelques paroles de guides et de témoins pour éclairer notre propre route à l'aune de cette parole de saint Thomas d'Aquin : “Ne regarde pas à celui qui parle, mais tout ce que tu entends de bon, confie-le à ta mémoire.” (Seize conseils pour acquérir le trésor de la science). Bonne lecture !

La belle langue française est perdue ; celle que d’illustres étrangers, Leibniz, Frédéric le Grand, Ancillon, de Humboldt, Heine choisirent pour être l’interprète de leurs idées, ce merveilleux langage dans lequel Goethe regrettait de ne pas avoir écrit, cet élégant idiome qui faillit devenir grec ou latin au quinzième siècle, italien avec Catherine de Médicis et gascon sous Henri IV, est maintenant un horrible argot. Chacun, oubliant qu’une langue vaut mieux aisée que riche, a créé son mot pour nommer sa chose. Les savants en botanique, en histoire naturelle, en physique, en chimie, en mathématiques, ont composé d’affreux mélanges de mots, les inventeurs ont puisé dans le vocabulaire anglais leurs plus déplaisantes appellations ; les maquignons pour leurs chevaux, les jockeys pour leurs courses, les marchands de voitures pour leurs véhicules, les philosophes pour leur philosophie, ont trouvé la langue française trop pauvre et se sont rejetés sur l’étranger ! Eh bien ! tant mieux ! qu’ils l’oublient ! elle est plus belle encore dans sa pauvreté et n’a pas voulu devenir riche en se prostituant ! Notre langue à nous, mon enfant, celle de Malherbe, de Molière, de Bossuet, de Voltaire, de Nodier, de Victor Hugo, est une fille bien élevée, et tu peux l’aimer sans crainte, car les barbares du vingtième siècle n’ont pas pu parvenir à en faire une courtisane !
Jules Verne (1828-1905)
Écrivain, auteur de Paris au XXe siècle
« – Il n’y a plus de femme ; c’est une race perdue comme celle des carlins et des mégathérium ! Je crois qu’il y a eu des femmes autrefois, à une époque très reculée ; les anciens auteurs en parlent en termes formels ; ils citaient même, comme la plus parfaite entre toutes, la Parisienne. C’était, d’après les vieux textes et les estampes du temps, une créature charmante, et sans rivale au monde ; elle réunissait en elle les vices les plus parfaits et les plus vicieuses perfections, étant femme dans toute l’acception du mot. Mais peu à peu, le sang s’appauvrit, la race tomba, et les physiologistes constatèrent dans leurs écrits cette déplorable décadence. As-tu vu quelquefois des chenilles devenir papillons ? Eh bien, reprit le pianiste, ce fut tout le contraire ; le papillon se refit chenille. La caressante démarche de la Parisienne, sa tournure gracieuse, son regard spirituel et tendre, son aimable sourire, son embonpoint juste et ferme à la fois, firent bientôt place à des formes longues, maigres, arides, décharnées, émaciées, efflanquées, à une désinvolture mécanique, méthodique et puritaine. La taille s’aplatit, le regard s’austérifia, les jointures s’ankylosèrent ; un nez dur et rigide s’abaissa sur des lèvres amincies et rentrées ; le pas s’allongea ; l’ange de la géométrie, si prodigue autrefois de ses courbes les plus attrayantes, livra la femme à toute la rigueur de la ligne droite et des angles aigus. La Française est devenue américaine ; elle parle gravement d’affaires graves, elle prend la vie avec raideur, chevauche sur la maigre échine des mœurs, s’habille mal, sans goût, et porte des corsets de tôle galvanisée qui peuvent résister aux plus fortes pressions. Mon fils, la France a perdu sa vraie supériorité ; ses femmes au siècle charmant de Louis XV avaient efféminé les hommes ; mais depuis elles ont passé au genre masculin, et ne valent plus ni le regard d’un artiste ni l’attention d’un amant ! Je maintiens mon dire ! Et je vais plus loin ! Pas une femme, à quelque classe qu’elle appartienne, n’a échappé à cette dégradation de la race ! La grisette a disparu ; la courtisane, au moins aussi terne qu’entretenue, fait preuve maintenant d’une immoralité sévère ! Elle est gauche et sotte, mais fait fortune avec de l’ordre et de l’économie, sans que personne se ruine pour elle ! Se ruiner ! Allons donc ! c’est un mot qui a vieilli ! Tout le monde s’enrichit, mon fils, excepté le corps et l’esprit humain. – Prétends-tu donc, demanda Michel, qu’il soit impossible de rencontrer une femme à l’époque où nous vivons ? – Certes, au-dessous de quatre-vingt-quinze ans, il n’y en a pas ; les dernières sont mortes avec nos grands-mères. Cependant… – Ah ! Cependant ? – Cela peut se rencontrer au faubourg Saint-Germain ; dans ce petit coin de l’immense Paris, on cultive encore quelque plante rare, cette puella desiderata, comme dirait ton professeur, mais là seulement. – Ainsi, répondit Michel en souriant avec une certaine ironie, tu persistes dans cette opinion que la femme est une race perdue ? – Eh, mon fils, les grands moralistes du dix-neuvième siècle pressentaient déjà cette catastrophe. Balzac, qui s’y connaissait, l’a fait entendre dans sa fameuse lettre à Stendhal : La femme, dit-il, est la Passion et l’homme est l’Action, et c’est pour cette raison que l’homme adorait la femme. Eh bien, ils sont tous deux dans l’action maintenant et dès lors, il n’y a plus de femme en France. »
Jules Verne (1828-1905)
Écrivain, auteur de Paris au XXe siècle
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