« L’ombre, c’est, derrière le volet à demi-clos de sa fenêtre, celle de ma mère qui n’a pas tout son monde rassemblé autour d’elle. Elle attend mon père ou notre retour du collège. Quelqu’un est absent. Elle craint pour lui. Ou bien le temps est orageux, elle interroge le ciel pour savoir s’il faut allumer la chandelle bénite. Une autre paix émanait d’elle, une paix, comment dirais-je ! qui s’étendait au-delà des choses de la vie, qu’on recevait en dedans, qui calmait les cœurs, une paix de prière et d’amour. Cette ombre, que je guettais chaque fois que je rentrais, c’était l’âme de la maison qui transparaissait comme la pensée sur un visage. »

Henri BORDEAUX (1870-1963)
Avocat, romancier et essayiste français, originaire de Savoie

« Le pas de mon père, personne ne s’y est jamais trompé. Rapide, égal, sonore, il ne pouvait se confondre avec nul autre. Dès qu’on l’entendait retentir, tout changeait comme par enchantement… Mariette activait son feu, nous rentrions dans le rang. Y avait-il une question à trancher, un ennui à supporter, une menace à craindre ? Quand on avait annoncé : il est là, c’était fini, toute inquiétude se dissipait aussitôt, chacun respirait comme après une victoire. Tante Dine surtout avait une manière de proclamer : « Il est là ! » qui eût mis en fuite l’agresseur le plus résolu… Avertis de cette présence, nous nous sentions une force invincible. C’était une impression de sécurité, de protection, de paix armée. Et c’était aussi une impression de commandement, chacun occupait son poste. »

Henri BORDEAUX (1870-1963)
Avocat, romancier et essayiste français, originaire de Savoie